Julien Cernobori, l’enquête à contre-courant · Une enquête au format XXL comme remède à ce qu’il peut y avoir de plus sombre.

Rencontre avec Julien Cernobori (réalisateur et reporter, anthropologue de formation) animée par Mannaïg Thomas le dimanche 11 février. Sur les traces d'un « tueur de vieilles dames », Julien Cernobori dépeint le portrait de la France des années 80 et rend hommage aux nombreuses femmes assassinées et trop vite oubliées.

« « 3, 2, 1, Cerno... » Germaine Petitot, Anna Barbier-Ponthus, Suzanne Foucault, Iona Seicaresco, Marie Choy, Maria Mico-Diaz, Jeanne Lorent, Alice Partouche-Benaïm, Estelle Donjoux... de ces femmes nous ne connaissions même pas les noms, juste qu’elles ont été quelques-unes des victimes du « tueur de vieilles dames ». Julien Cernobori est pourtant parti à leur recherche dans le Paris du milieu des années 1980…
Cerno, l’anti-enquête pourrait n’être que le podcast de tous les records : par la durée de cette enquête tentaculaire, par le nombre de victimes, de pièces au dossier judiciaire, le nombre de cafés servis ou d’heures de rushs à monter... Mais ce qui embarque les auditeur·ices, ce ne sont pas les records, le fait divers ou la fascination pour des parcours criminels : Julien Cernobori nous plonge, au contraire, dans la vie ; la vie de ces femmes, celle de leurs proches, mais aussi de leurs lointains, la vie à Paris dans les années 1980, et aujourd’hui – souvent à vélo et toujours micro ouvert –, la vie de celles et ceux que Julien Cernobori croise au détour d’un trottoir, dans un magasin, un appartement ou à la terrasse d’un café... Comme remède à ce qu’il peut y avoir de plus sombre, il propose la rencontre, la mémoire et la chaleur des échanges.
Et, surtout, rappelez-vous : « Ne laissez pas traîner vos grands-mères... »

― Mannaig Thomas

« Au départ j’ai découvert, lors d’une réunion de copropriété, qu’un tueur en série avait vécu, autrefois, dans mon immeuble. À ce moment précis, ma vie a changé pour toujours. Cet homme, c’était Jean-Thierry Mathurin, complice et amant de Thierry Paulin, criminel oublié qui aurait, dans les années 1980, cruellement ôté la vie d’une quarantaine de femmes. Des femmes âgées, souvent seules, veuves et vite tombées dans l’oubli.
J’ai aussitôt éprouvé le besoin de me plonger dans cette histoire et d’observer, de recueillir d’éventuelles traces de l’affaire et de ses victimes. Trente-cinq ans après les faits, me voilà parti enquêter sur les premiers lieux de crimes, selon un mode opératoire très personnel : j’arrive micro en main, sans prévenir ni faire de casting, et je me « débrouille », je me laisse guider par les rencontres inopinées, en prenant soin d’enregistrer la parole de chacune des personnes dont je croise la route. Dès le premier épisode de ce podcast, j’ai prononcé ces mots sans bien comprendre, à l’époque, leur portée : « On verra bien où cette histoire me mène ».
Tout s’est ensuite précipité : les premiers auditeurs se sont engagés à mes côtés pour soutenir ma démarche et, dès lors, l’enquête a pris une nouvelle tournure. Des inconnus ont commencé à me contacter pour témoigner. Ils avaient connu les tueurs ou leurs victimes. Une autre version de l’affaire m’était ainsi livrée : inédite, intime, émotionnelle.
Cette enquête m’a déjà conduit aux quatre coins de la France pour rencontrer les protagonistes de l’affaire. J’ai parlé à d’innombrables inconnus, à un prêtre roumain, un commissaire à la retraite, des voisins des victimes, d’anciens fêtards du Palace, à la philosophe Vinciane Despret, à la cinéaste Céline Sciamma… J’ai bu des centaines de cafés et je ne compte plus les heures passées seul à ma table de montage.
Je me suis autorisé de véritables digressions qui nous ont éloignés des assassins pendant plusieurs épisodes, afin de raconter d’autres histoires qui sont autant sociologiques que culturelles, politiques : le portrait de Paris en mutation dans les années 1980, l’isolement des personnes âgées ou l’arrivée du sida… Je me suis laissé intuitivement guider vers autant de pistes que je n’aurais jamais anticipées, dans l’espoir de rendre une histoire individuelle aux personnes assassinées, comme une timide tentative de réparation»

― Julien Cernobori

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Photo © Sébastien Durand

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